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Au gré du vent...

24 décembre 2011

Le Nabab

Il était attablé derrière son grand bureau et observait dans le ciel le vol des oies sauvages. C’était la fin de l’été à Istanbul, l’air qui pénétrait par la fenêtre entr’ouverte était doux et parfumé des effluves des roses qui s’agitaient doucement dans la brise. Lebruit un peu atténué de la rue lui parvenait. Mais, il n’y prenait pas garde, toute son attention était concentrée sur la porte, qu’il s’attendait à voir s’ouvrir à chaque instant. Mais son cigare était déjà bien entamé et la porte restait obstinément close.
Il soupira, en secouant la tête. Tout dans sa physionomie portait au respect : sa stature, haute et élégante, son port altier, sa mâchoire volontaire, ses yeux sombres et inquisiteurs, ses grandes mains, calleuses et sèches, qui pouvaient vous attraper, vous happer sans plus vous lâcher. Mais à cet instant, cet homme, qui avait l’habitude d’impressionner son entourage par sa présence et sa prestance, était inquiet, et jetait des regards énervés à la pendule en bronze posée sur le bureau, celle que lui avait offert la Comtesse de Beauregard lors de son arrivée à Istanbul. Son regard s’égara sur la statue d’une musicienne drapée dans un vêtement transparent, debout à côté de la pendule et soulevant le couvercle d’une vasque où se tenait un amour. La musicienne découvrant l’amour… il sourit, il s’était trouvé pris de court lorsque la Comtesse lui avait offert ce présent. Encore une plaisanterie de cette femme capricieuse ? Ou n’y avait-il rien de plus à en attendre ?

Son regard s’attarda sur le socle qui représentait le bas-relief  d’une scène antique, montrant un couple et des amours. Il se dit qu’elle était folle et qu’il allait devoir exhiber cette pendule le temps de la présence de la femme, c’est-à-dire encore un petit moment, elle n’avait pas l’air de vouloir rentrer à Paris, et le climat étouffant de la capitale turque n’avait pas l’air de l’incommoder. Vieille folle, se dit-il encore. Cependant, l’heure tournait et le personnage qui devait franchir le seuil avait à présent une  bonne heure de retard.

Francis, malgré ses grands airs et ses vêtements à l’orientale, n’était pas un Oriental et encore moins ce Nabab, surnom qu’on lui collait volontiers depuis son voyage à Paris l’année précédente. Il n’avait pas non plus la patience de l’Oriental et ce retard, outre qu’il l’agaçait, commençait également à l’inquiéter. Il se leva finalement et se dirigea vers la table sur laquelle étaient posées une carafe d’eau fraîche ainsi qu’une carafe de ce vin rosé du sud-ouest de la France qu’il affectionnait tant, et deux verres. Il hésita un moment mais finalement se versa un verre d’eau et se dirigea vers la fenêtre.

« Il ne viendra plus ». Dit-il tout haut. « Il ne viendra pas »… Il secoua la tête, pris de nausées : s’il ne venait pas, il retournerait à Paris, malgré tout, malgré les critiques et les avertissements de son entourage. Les attaques du Bey devenaient de plus en plus pressantes et rester à Istanbul n’avait plus aucun sens. Il devait retourner à Paris, malgré tout…

Tout était allé très vite, trop vite en y réfléchissant bien. Son voyage en France, en fanfare tout auréolé de sa fabuleuse richesse, son installation à Paris, la grande vie, les sollicitations, les longues soirées arrosées et la dilapidation de sa fortune si chèrement acquise dans le commerce des indiennes. Décidément tout était allé très vite, trop vite pour cet homme grisé par la vie parisienne et peu habitué aux manipulations, traîtrises et félonies de toutes sortes de la bourgeoisie encanaillée avide de bons et de billets du Trésor et trop contente de voir accoster sur les berges de la Seine un provincial les poches remplies de pièces d’or. Il ne pouvait faire le poids face à ces rapaces prêts à fondre sur leur proie toutes serres dehors. D’autant plus que sa réussite presque indécente à leurs yeux leur renvoyait leur image de parvenus aigris et ruinés, endettés comme il était à peine envisageable. L’arrivée de cette force de la nature, ce paysan, le teint halé et les dents blanches, les rendaient encore plus envieux, plus rancuniers et plus mauvais. Il représentait la réussite de cette classe de besogneux face à eux qui ne savaient rien faire d’autre que dilapider, détruire
et anéantir tout ce qu’ils pouvaient toucher. Personne n’aurait donné cher de la peau du Nabab lorsqu’il entra dans Paris, et il advint ce que tout le monde attendait, espérait, escomptait… Le Nabab fut ruiné en moins d’un an. Et puis l’exile en Turquie, comme une fuite en avant.

Il sonna, attendit, avant que Nabil le majordome ne pénétra dans la pièce. « Prépare les malles, nous partirons demain à l’aube », Nabil ne répondit pas et sortit, il se dirigea directement vers la porte d’entrée et fit signe au cocher, pour lui intimer l’ordre de faire préparer la voiture et les chevaux pour le lendemain matin. Francis s’installa à son bureau, les coudes posés, la tête dans les mains, songea mais rien ne sortit de ses interrogations et finalement il s’endormit.

Francis est réveillé par les bruits de la circulation du lundi matin : la benne à ordures, les cris des éboueurs, les bacs en plastique que l’on entrechoque, les klaxons des automobilistes énervés, le bruit de la pluie qui tambourine sur la gouttière en zinc, le radio-réveil du voisin qui hurle les nouvelles du jour. Francis a le visage collé sur son bureau, sa nuque lui fait mal et un de ses bras est complètement engourdi. Il a du mal à ouvrir les yeux et à se souvenir où il est, ce qu’il fait et quelle heure il est. Le jingle d’une station de radio bien connue le renseigne, « booonnnnjour, il est 7h00 du matin, nous sommes lundi 3 novembre, bienvenue sur Buzzradio, la radio qui vous réveille en douceur… », et puis plus rien, un gros fracas qui lui heurte les oreilles : le voisin rageur a tapé sur le réveil qui a rencontré un peu violemment le sol. Une salve de jurons traverse la maigre paroi du mur. Francis se déplie tout doucement, son dos le fait souffrir. Il regarde l’écran de son ordinateur, il n’a pas beaucoup avancé sur l’article qu’il devait écrire sur la grande vente aux enchères qui aura lieu le samedi suivant  à l’Hôtel Drouot. Quelle idée son rédacteur avait-il eu de lui faire couvrir cet événement ! Il s’était rendu à la présentation des objets mis en vente et avait déambulé comme un pauvre hère au milieu de tout ce bric-à-brac d’objets anciens dont pour la plupart il n’en connaissait même pas l’utilité. Il avait voulu rencontrer le Commissaire-Priseur, avait même pris rendez-vous avec sa secrétaire, mais une fois sur place celui-ci ne se présenta pas et personne ne put le renseigner. Il se promena donc, prit quelques notes, demanda le catalogue qui n’était pas encore disponible et par défaut de renseignements, s’en alla. Il se dit qu’il allait se fier à son imagination, mais finalement celle-ci aussi lui fit défaut. Ce n’est pas vraiment l’imagination qui aide à écrire un article sur une vente aux enchères. Mais bien plus un descriptif des objets vendus ou au moins de la personne à qui ces pièces appartenaient. Même cela il ne fut pas en mesure de s’en souvenir. Il faisait un bien piètre journaliste. Et ce n’est pas cela qui allait redorer son blason. Son rédacteur l’avait déjà mis en garde, ce n’était pas d’un  écrivain dont il avait besoin mais d’un bon chroniqueur qui pouvait parler de tout, et c’est ainsi d’ailleurs qu’il s’était présenté à ce poste. Il avait besoin de ce job, les fins de mois étaient de plus en plus serrées, le loyer de son misérable petit studio au 7ème
étage d’un immeuble insalubre ne souffrait pas de retard. Son propriétaire ne le louperait pas à la prochaine occasion. Francis se lève, s’étire à nouveau et se rend à la kitchenette en baillant. Il va d’abord se faire couler un bon café bien serré et se remettre au boulot, rappeler pour avoir un nouveau rendez-vous avec le Commissaire-Priseur pour boucler cet article avant le lendemain midi.
C’est le délai que lui a donné son rédacteur en chef pour la publication de l’article. En passant la porte, il jette un regard sur la pendule murale, une pendule tout à fait ordinaire qu’il avait gagné à la fête foraine un an auparavant. Mia voulait le gros cœur en peluche rouge, il tira la pendule vache qui hochait la tête toutes les secondes dirons-nous et qui remuait la queue toutes les eures, mais le mécanisme était cassé depuis un moment.

Il se souvient soudain de cette pendule en bronze qu’il avait repérée à la salle des ventes, une pendule en bronze du XVIIIème siècle si ses souvenirs ne le trahissent pas. Une très jolie petite pendule sous une cloche en verre, il avait vérifié l’heure sur sa montre et elle était juste. La statue de la jeune femme drapée dans une fine robe qui laissait deviner les contours de son corps, la délicate silhouette qui se dressait sur la pointe des pieds pour regarder à l’intérieur de la vasque, le beau bas-relief… Il s’était abîmé un instant dans la contemplation de cette belle pièce, bercé par le tic-tac régulier du balancier. Il était sous le charme et se disait que l’artiste qui avait créé cette petite merveille devait être follement amoureux pour réaliser une œuvre d’une telle  délicatesse et d’une telle beauté.Le nom de la vente revient également à la mémoire de Francis pendant qu’il verse le café dans le filtre, une, deux et trois cuillères de café et l’eau. La Comtesse de Beauregard, oui c’était cela. Il s’en souvient à présent, drôle comme les souvenirs ressortent des brumes de sa mémoire.Une partie du mobilier de la Comtesse est mis en vente par les héritiers et pour une œuvre de charité dont il ne se souvient plus, une école quelque part en Turquie qui enseigne le français à des
jeunes enfants déshérités. Plic, ploc le café coule, encore dix minutes et il retrouvera figure humaine. Pendant ce temps, il retourne péniblement à son bureau pour ouvrir la fenêtre et son pied tape dans un objet qui file sous le seul fauteuil qu’il a réussi à sauver de son déménagement. Il essaye de voir, mais n’y arrive pas, se baisse, tend la main et attrape un livre qui traînait par terre. Il le retourne et sourit en lisant le titre : Le Nabab d’Alphonse Daudet !

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6 octobre 2011

Prendre la route 2

paris moulin

Chapitre 2 : il faut rouler !

A présent il faut rouler, toujours tout droit vers le sud, je m'impose une pause toutes les deux heures, je ne dois pas avoir d'accident, ni m'épuiser, je dois tenir pour aller le plus loin possible pendant ces deux jours. Comme j'ai décidé de disparaître lors de ce week end, on penchera pour une fugue probablement, c'est sûr donc il faut que je mette le plus de champs entre eux et moi. De toute manière je suis adulte, donc responsable.

La route est longue et fatiguante, les pauses ne me reposent pas beaucoup car je suis anxieuse. Où vais je aller ? Comment vais je vivre ? La voiture chauffe il faudra que je m'arrête pour la nuit, mais où dormir ? Pas sur une aire d'autoroute, c'est trop dangereux. Les hôtels demandes des coordonnées. Je commence déjà a être paranoïaque.

J'opte pour un petit camping indiqué, j'avais prévu de prendre une petite tente et j'ai mon sac de couchage et puis une bonne douche ne fera pas de mal. Les gens sont sympa, ne posent pas de questions, ça m'arrange bien, je n'ai pas envie de discuter. J'achète deux trois bricoles dans leur boutique pour pique-niquer et je me couche après une bonne douche chaude. Je dors comme un loir, un sommeil sans rêves, profond et réparateur. En me réveillant, je pense à D et comme il serait bon de me réveiller dans ses bras. De sentir son odeur. Je frotte mes yeux et j'efface ce souvenir.

Je déjeune, je plie mes affaires et je prends à nouveau une douche avant de me remettre en route. Dimanche 11 septembre 2011, commémoration des attentats de New York.

En roulant, j'écoute les nouvelles à la radio, elles coulent sur moi, je ne les entends ni ne les comprends. mon objectif se rapproche, j'ai décidé de prendre le ferry en Italie.

5 octobre 2011

prendre la route !

CIMG2281

Chapitre 1 : je pars

Je prends le minimum, quelques vêtements préférés, l'argent liquide que j'ai préalablement retiré de mon compte en banque. J'ai fait le plein de la 106 et des deux jerricanes que j'ai aussi remplis pour m'éviter de faire le plein en cours de route. Je dois pouvoir rouler le plus longtemps possible sans avoir à faire le plein. Je dois avoir pris le ferry à Marseille avant la fin du week end. Je ne prends aucun souvenir, mon téléphone portable restera aussi dans mon appartement ainsi que mon ordinateur.

J'emmène quelques livres pour la route et surtout de quoi écrire. Des vêtements, je ne sais pas lesquels choisirs, des légers, des chauds ? De toute manière personne ne vérifiera ma garde robe. Je voudrais aussi éviter d'acheter quoi que ce soit avec le peu d'argent dont je dispose. Mes bottes, mes chaussures de marche.

Je range un peu mon appartement, mais à quoi bon. Je laisse la clé sur le clou. Je n'en ai plus besoin.

Les affaires sont déjà en partie dans la voiture, j'espère qu'elle me restera fidèle le plus longtemps possible. Je pense la vendre une fois arrivée là bas. Personne n'y prêtera plus attention.

J'ai un peu peur quand même, je n'ai pas l'impression d'avoir préparé mon voyage. Quelques vivres, mais rien de conséquent. Je ne veux pas avoir à m'arrêter pour manger. Est ce qu'ils enverront un avis de recherche ? Et puis quand ?

J'ai posé une semaine de congés, donc au boulot on ne devrait pas s'inquiéter. C'est à la maison. Et D. non il ne s'inquiétera pas, il essayera peut être d'appeler ? Il n'a pas vraiment besoin de moi.

Je jette un dernier coups d'oeil autour de moi, et je souhaite au plus profond de moi ne plus avoir à revenir entre ces murs, qui m'ont vus grandir. C'est ma vie qui est en jeu, ma liberté, ma santé, mon équilibre. Si j'échouais, j'en mourrais probablement.  C'est maintenant ou jamais, j'en ai tellement rêvé, je ne peux pas échouer.

Je ferme la porte derrière moi, je ne la verrouille pas, ce n'est pas nécessaire. J'entends bouger à l'étage. Je souris. Je descends les escaliers et je monte dans ma voiture. Je ferme le portillon de mon garage comme d'habitude et je démarre. Direction l'autoroute, la Suisse, j'achète la vignette suisse en payant en Francs Suisses et ça y est je pars.

 

5 octobre 2011

"l'Arabe" Antoine Audouard

Antoine Audouard

L’Arabe

Folio

C’est un livre qui arrache, mord, triture, interpelle. Le ton est donné dès le départ, écriture incisive, termes délibérément choquants
et dérangeants.

« Manquerait plus que ce soit un Arabe… » 1ère phrase, le ton est donné, toute la haine, la bêtise et la méchanceté humaine,
crachée comme du venin. Le terme de racisme ne suffit plus,  il n’est plus assez fort.

Les deux personnages principaux ne sont nommés à aucun moment : c’est l’Arabe, l’Indienne la sauvage, deux étrangers, un homme une femme, deux destins qui se croisent mais continuent leurs routes en parallèle.


Alors et l’histoire ? Il suffit de lire la jaquette… Un Arabe arrive dans un petit village, il glisse comme une ombre, entre les murs,
se fait le plus discret possible, s’installe dans une cave froide et humide, mais cela ne suffit pas à le mettre à l’abri. Sa discrétion dérange, d’où il vient, qu’est-ce qu’il a à cacher et puis il y a ce meurtre…? Puis le déchainement, la violence, la honte s’abattent sur lui comme une malédiction.

Les autres personnages, sont principalement des brutes, des idiots paumés qui n’arrivent pas même à vivre avec eux même. La France profonde ? On ne la souhaite pas aussi haineuse. Et puis il y a Juste, Bernard, l’inspecteur, des personnalités simples, fortes et présentes.

Un récit poignant, douloureux mais aussi chaud, qui est un hymne à la coexistence, à l’humanité, c’est tout.

Le style est parfait, le ton est juste et nous heurte là où ça fait mal.


Comme le souligne Nancy Huston au dos de la Jaquette ; « le véritable thème du livre est une chose plus grave encore que le racisme, la difficulté de vivre ».

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